MINUTE EXPRESS | FARP : le contrat d’adhésion notarié rédigé dans une autre langue que le français

Depuis l’adoption en mai 2022 de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (2022, c. 14) qui prévoit des modifications législatives en matière de publicité des droits, certaines institutions financières rendent disponibles un modèle d’acte d’hypothèque immobilière rédigé en français et en anglais, afin de permettre la publicité des droits immobiliers qu’il contient, par présentation d’un extrait authentique. Cette nouvelle manière de rédiger un acte notarié mérite quelques commentaires et recommandations.

Tout d’abord, précisons que l’acte d’hypothèque notarié doit nécessairement être rédigé dans l’une des langues officielles au Canada, soit le français ou l’anglais. L’acte rédigé dans une autre langue serait nul comme authentique1. Quant à l’utilisation de la langue anglaise, la Charte de la langue française (C-11) permet son usage, à moins qu’elle exige l’usage exclusif du français2. Or, en matière d’acte notarié, rien dans la loi n’interdit la rédaction de l’acte exclusivement en anglais ou dans les deux langues, soit en français et en anglais. L’acte rédigé dans les deux langues demeure un acte authentique.

Appel à la prudence
Toutefois, la rédaction d’un acte qui contient à la fois une version en français et une autre en anglais mérite qu’on s’y attarde. En d’autres mots, nous parlons ici de l’acte qui inclut une « traduction » de toutes les clauses (« acte bilingue »). Il revient au notaire instrumentant de s’assurer que l’acte bilingue traduit bien l’intention des parties et décrit l’objet de leurs prestations de manière claire et non équivoque3. Le notaire doit ainsi éviter d’accepter un mandat où l’acte serait rédigé dans les deux langues s’il ne maîtrise pas suffisamment chacune d’elles.

Le risque porte essentiellement sur la possibilité de divergences entre les deux versions, avec l’incertitude pouvant en résulter quant à la détermination de l’intention des parties et de leur entente réelle. Le notaire devra donc être prudent quant à la rédaction de l’acte d’hypothèque, notamment la désignation de l’immeuble, afin que les deux versions soient concordantes. Notons, en complément, que l’article 91 de la Charte de la langue française prévoit qu’en matière de contrat d’adhésion, la personne qui ne l’a pas rédigé, peut invoquer l’une ou l’autre des versions, selon ses intérêts.

Le devoir de conseil du notaire est définitivement augmenté en cas d’acte bilingue. Il doit, en effet, s’assurer que les parties ont bien compris l’ensemble des clauses de l’acte. La lecture de l’acte permettra au notaire de fournir les explications à chaque partie dans sa langue souhaitée et de jouer son rôle de conseiller juridique. Un résumé et des explications substantielles peuvent toutefois tenir lieu de la lecture mot à mot de l’acte notarié.

Les recommandations suivantes sont à considérer dans le cadre de la rédaction d’un acte d’hypothèque bilingue :

  • Dans le cas d’un contrat d’hypothèque, considérant qu’il s’agit d’un contrat d’adhésion, le notaire devrait obtenir une confirmation écrite de la part de celui qui impose les stipulations essentielles à l’effet que les deux versions sont, en substance, identiques. Dans l’exemple d’une institution financière, celle-ci pourrait le confirmer dans le mandat de garantie hypothécaire transmis au notaire ou par la suite.
  • Afin d’éviter que l’acte bilingue puisse être considéré comme créant davantage de droits que ce qui est l’intention des parties, la partie qui impose les stipulations essentielles devrait inclure à l’acte une mention à l’effet que « la version qui suit est la version française de la version anglaise incluse » ou vice-versa.
  • Le notaire doit éviter d’ajouter une clause à l’acte bilingue à l’effet qu’une version a préséance sur l’autre. Une telle clause est à proscrire, car elle compromet le caractère authentique des deux versions de l’acte. Prévoir que l’une des versions a préséance sur l’autre revient à dire implicitement que l’on peut en pratique ignorer l’autre version, alors que les deux versions doivent avoir la même valeur si elles constituent toutes les deux un même acte. De plus, une telle clause prévoyant une préséance de la version anglaise soulève un doute quant à la validité des droits publiés par extrait au Registre foncier. En effet, l’extrait inclut la version de l’acte qui aurait implicitement été écartée par la clause de préséance.

La Chambre des notaires informera les institutions financières de l’importance de leur collaboration afin de permettre au notaire de jouer son rôle en respect de l’intention des parties et de ses obligations professionnelles.

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